Mécanismes judiciaires informels

Dernière modification: December 20, 2011

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L’autorité des mécanismes judiciaires informels provient de groupes sociaux ou de structures communautaires qui ne sont pas régis par l’État. Il peut s’agir de communautés ethniques ou de communautés religieuses particulières, de pratiques rituelles ou traditionnelles, de systèmes autochtones de gouvernance ou d’organisations communautaires locales.

Le système judiciaire informel comprend souvent en son centre des chefs ou des responsables désignés par la communauté qui utilise ce mécanisme. Ces chefs peuvent présider dans des cadres semblables à ceux d’un tribunal ou travailler dans un cadre complètement différent (comme un lieu de rassemblement communautaire ou une résidence privée). Ils peuvent également être rémunérés par les parties au litige, par un organisme extérieur, ou fournir leurs services à titre gracieux dans le cadre des fonctions qu’ils sont censés remplir dans la communauté. Souvent la communauté et le public en général jouent aussi un rôle important dans les procédures informelles et l’application effective des décisions.

Les mécanismes judiciaires informels présentent de nombreux risques pour les femmes et les filles victimes de la violence (voir encadré pour les détails). On s’accorde toutefois à reconnaître que la simple mise hors la loi de pratiques ou de mécanismes judiciaires qui ne s’accompagne pas d’une campagne d’éducation et de sensibilisation du public constitue le moyen de réforme le moins efficace dans le secteur informel. Il serait préférable que les changements législatifs s’opèrent en parallèle avec une formation continue et la présentation de solutions de rechange.

Le danger de la justice réparatrice dans les affaires de violence contre les femmes

Les pratiques de justice réparatrice sont utilisées à la fois dans les secteurs judiciaires informels et formels dans le monde. Le recours à ce type de pratiques dans les affaires de violence contre les femmes suscite toutefois de graves préoccupations. Ces pratiques risquent de minimiser l’impact qu’a exercé la violence sur la vie des femmes, perpétuer la discrimination à leur encontre et les contraindre à renoncer à leurs droits individuels pour préserver l’harmonie à l’intérieur d’un groupe social. Étant donné le déséquilibre des forces entre la victime et son agresseur qui caractérise souvent les affaires de violence envers les femmes, les pratiques de justice réparatrice qui mettent en présence la victime et l‘agresseur lors des processus de négociation et de dialogue risquent de créer des situations dangereuses. Cela n’a pas empêché le recours à de telles pratiques dans les affaires de violence contre les femmes, y compris la violence domestique, partout dans le monde. Les femmes peuvent être forcées à utiliser ces mécanismes ou à y avoir recours lorsque les mécanismes judiciaires formels ne sont pas facilement accessibles.

 

Les dangers de la médiation dans les affaires de violence contre les femmes

La médiation (parfois appelée conciliation) est utilisée dans le secteur judiciaire formel et dans le secteur judiciaire informel, malgré les recommandations contraires des experts dans les cas de violence contre les femmes. La médiation peut s’avérer particulièrement délicate, voire dangereuse, dans les affaires de violence à l’égard des femmes, en particulier la violence domestique. Ce type d’affaires se caractérise par des rapports de force inégaux entre les parties au litige, définis par l’agression physique, l’intimidation violente et un comportement dominant, violent ou humiliant. La médiation suppose que les parties abordent ce processus avec des ressources et un pouvoir identiques, ce qui n’est pas souvent le cas dans ces affaires. En réalité, de nombreux experts recommandent l’interdiction par la loi de la médiation dans les affaires de violence contre les femmes. Ainsi, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique interdit “des modes alternatifs de résolution des conflits obligatoires, y compris la médiation et la conciliation, en ce qui concerne toutes le formes de violence” couvertes par la convention (art.48).

La médiation continue néanmoins d’être utilisée dans de nombreuses affaires de violence à l’égard des femmes partout dans le monde. Tout programme de réforme de la justice qui comprend une composante médiation devrait se conformer strictement aux conditions suivantes:

  • Tous les acteurs qui participent aux processus de facilitation de la médiation devraient être formés aux dynamiques de la violence à l’égard des femmes, notamment la violence domestique. Les stages devront clairement indiquer que même à l’issue de la formation les médiateurs ne seront probablement pas en mesure de reconnaître systématiquement les cas de violence domestique, ou de corriger l’inégalité des rapports de force une fois la médiation entamée.
  • Les programmes de médiation, du secteur formel comme du secteur informel, devraient comporter une procédure de sélection pour identifer et orienter les cas qui ne se prêtent pas à la médiation. 
  • Les  femmes devraient pouvoir abandonner à tout moment les processus de médiation et disposer des moyens nécessaires pour le faire.
  • Les parties à la médiation devraient être encouragées à se faire accompagner aux audiences par des personnes qui les soutiennent et à solliciter une représentation juridique extérieure. 
  • Les parties à la médiation devraient se voir offrir la possibilité de la médiation dite de navette, qui leur permet de ne pas être physiquement présentes sur le même lieu pendant le processus.

Il convient de garder à l’esprit les principes susmentionnés en cas de recours à la médiation. Par ailleurs, l’Association du barreau américain a diffusé un document intitulé Model Standards of Practice for Family and Divorce Mediation (Normes de pratique types en matière de médiation familiale et de divorce) qui  comprend des recommandations utiles sur la manière de traiter la violence à l’égard des femmes en cas de médiation.

Sources: The Advocates for Human Rights. 2010. Stop VAW - Mediation; Nations Unies. 2009. UN Handbook for Legislation on Violence against Women. Amnesty International. 2008. Women’s Struggle for Justice and Safety in the Family; 2001.  Towards an Integrated Model of Care for Family Violence in Central America.

 

Canada: Recommandations d’un Groupe de travail en matière de justice réparatrice dans les affaires de violence à l’égard des femmes

Au Canada, où les pratiques de justice réparatrice ont été intégrées au système judiciaire formel sur plusieurs dizaines d’années, le recours à de telles pratiques en cas de violence à l’égard des femmes, notamment la violence domestique, a provoqué d’innombrables débats. Ainsi, le Aboriginal Women’s Action Network  a recommandé un moratoire sur le recours à la justice réparatrice dans les affaires de violence contre les femmes, alors que d’autres groupes aborigènes et non-aborigènes se sont déclarés favorables à l’élaboration d’options à la justice réparatrice. En réponse à ces préoccupations, le ministère canadien de la Justice a créé un groupe de travail chargé de présenter des recommandations sur la manière d’utiliser au mieux les pratiques réparatrices dans les situations de violence domestique. Le Groupe de travail s’est prononcé contre le recours aux pratiques de justice réparatrice en cas de violence conjugale à l’exception des circonstances suivantes:

•   le processus de justice réparatrice offre un niveau identique ou supérieur de protection de la sécurité de la victime par rapport à celui proposé par la justice pénale;

•   le recours au processus de justice réparatrice ne se fait qu’après l’inculpation de l’agresseur pour le crime commis et avec l’assentiment du procureur;

•   un personnel qualifié et compétent conclut, au moyen d’outils d’évaluation des risques dûment validés, que le cas en question ne présente pas de hauts risques  (c’est-à dire qu’après l’examen d’un certain nombre de facteurs, dont les antécédents de violence, les menaces de violence grave, les manquements préalables aux ordonnances de protection rendues par les tribunaux, l’utilisation ou la présence d’armes, les problèmes d’emploi, la consommation de drogues et d’alcool, la toxicomanie et les menaces de suicide, le délinquat est considéré comme ne présentant qu’un faible risque de sécurité pour la victime, ses enfants et autres personnes à charge, tout au long du processus judiciaire et à l’issue de celui-ci).

•   la victime est pleinement informée du processus de justice réparatrice proposé et sa volonté est respectée. De plus, le consentement de la victime est indispensable et elle doit bénéficier du soutien nécessaire dans l’éventualité où sa participation au processus de justice alternative est demandée

  • le contrevenant assume pleinement la responsabilité de ses actes;
  • le processus de justice réparatrice s’inscrit dans un programme validé et supervisé par les pouvoirs publics visant à formuler des réponses de la justice réparatrice à la violence conjugale;
  • le processus de justice réparatrice est transparent (c’est-à-dire qu’il requiert que l’on conserve des dossiers officiels indiquant les actions prises par les participants) et est utilisé en temps opportun et de manière raisonnable;
  • le processus de justice réparatrice a les moyens nécessaires pour résoudre les affaires de violence conjugale; elle est administrée et supervisée par des personnes qui ont la compétence, la formation et les capacités nécessaires, y compris la capacité de reconnaître et de tenir compte des déséquilibres des rapports de force et des différences culturelles; et
  • en cas d’échec du processus de justice réparatrice, la possibilité d’une condamnation et de l’imposition d’une peine reste ouverte. 

Le Groupe de travail a estimé que le recours aux pratiques de justice réparatrice dans les affaires de violence à l’égard des femmes devait  s’appuyer également sur les actions suivantes:

  • préparation et prestation de cours de formation continue destinée aux responsables d’une évaluation des risques et exécution et supervision des procédures et programmes de justice alternative, y compris le personnel de justice pénale;
  • création et utilisation d’outils d’évaluation des risques validés pour les affaires de violence conjugale; et
  • Suivi et évaluation continue des interventions de la justice alternative, notamment en cas de violence conjugale, à la lumière des nouvelles études axées sur des preuves démontrant l’efficacité de ces processus, leur capacité de garantir la sécurité de la victime et de ses enfants et celle de réduire les chances de récidive.

Sources: Ministère de la Justice, Canada. 2001. Rapport final du Groupe de travail fédéral-provincial-territorial spécial chargé d’examiner les politiques et les dispositions législatives concernant la violence conjugale; Ptacek. 2010.